Dans cet article, j’ai envie de revenir à la base du harcèlement scolaire : d’où vient-il ? Quelle est la mécanique sous-jacente ? Mettre en lumière les racines du harcèlement scolaire, en comprendre la subtile logique, c’est identifier les parts de responsabilités de tous les protagonistes et rendre des moyens d’actions à la victime. Décryptage…

En finir avec l’approche psychologisante du harcèlement scolaire

Le psychologue norvégien Dan Olweus a été le premier à s’intéresser au phénomène du harcèlement scolaire pour en comprendre le mécanisme et proposer des programmes de prévention dans les établissements scolaires. En effet, avant ses travaux de recherche dans les années 1980, personne n’avait jamais cherché à comprendre ce qui se passait dans les cours de récréation. Sous l’influence de Freud sans doute… L’enfant étant considéré comme un être de pulsion, il est « logique » qu’il manifeste un certain nombre de comportements agressifs puisque c’est dans sa nature. Soit disant…

Les travaux de Dan Olweus ont abouti à un certain nombre de conclusions que vous pouvez retrouver dans son ouvrage Bullying at school. Malheureusement, son explication donnée au harcèlement scolaire a été régie par une approche psychologisante assez réductrice. Selon cette ligne explicative, il y aurait des profils de harceleurs : majoritairement masculins, un penchant pour la violence et l’agressivité (à l’égard de leurs pairs mais aussi des adultes), des jeunes qui recherchent le pouvoir et la soumission de l’autre, présentant des comportements potentiellement antisociaux, voire des délinquants en puissance. Il y aurait aussi des profils de victimes : essentiellement féminines, enfants sensibles, anxieux, isolés, ou plus rarement des jeunes dont le comportement est jugé perturbant pour le groupe (enfant hyperactif, comportements agressifs etc).

Je m’oppose formellement à cette lecture des situations de harcèlement scolaire car elle catégorise les jeunes par stéréotypes, les privant ainsi de toute possibilité d’évolution avec une sorte de fatalisme irrévocable. Elle est souvent mise en défaut lors de cas concrets sur le terrain, les protagonistes ne rentrant pas dans les cases. Pire, elle justifie une politique de répression à l’encontre du harceleur, ce que l’on sait être parfaitement inutile dans bien des situations. Enfin, elle ne s’intéresse jamais au potentiel de résilience de la victime et à sa capacité à reprendre du pouvoir sur la situation qu’elle vit pour s’en sortir par ses propres moyens.

Le harcèlement scolaire est une histoire de schémas relationnels,
ni plus ni moins

Analyser le harcèlement à l’aide des schémas relationnels

A peu près à la même époque, Anatol Pikas, un philosophe et psychologue estonien, propose une lecture bien différente, puisqu’il observe que la dynamique du harcèlement est surtout alimentée par un phénomène de groupe. Selon lui, c’est l’influence du groupe qui fait que l’action de harcèlement se répète et il n’y a pas toujours une intention de nuire, contrairement à ce qu’affirme Olweus.

Pour compléter la vision de Pikas, il est nécessaire de zoomer sur le moment où le harcèlement s’enclenche à partir d’une interaction entre 2 individus avant d’être repris par tout un groupe. Et c’est l’anthropologue et psychologue Gregory Bateson qui nous fournit des éléments de compréhension sur la génèse des conflits.

En effet, selon Bateson, il y a 3 types d’interactions en cas de conflit :

Une relation réciproque : un échange équilibré entre protagonistes, pas de surenchère ni de recherche d’ascendant sur l’autre

Une escalade symétrique : le même comportement est adopté par les 2 protagonistes qui rivalisent avec les mêmes « armes » jusqu’à l’explosion du système (c’est ce qui se passe dans les couples où chacun veut imposer sa vision à l’autre sans aucune concession par ex)

Une escalade complémentaire : un des protagonistes adopte une posture basse, l’autre une posture haute, et l’écart ne fait que se renforcer et se creuser au fil des interactions (ce schéma relationnel est caractéristique des relations de couples violence/soumission).

La majorité des situations de harcèlement prend naissance dans une escalade complémentaire entre 2 individus.

A la lumière de ces 2 approches, la stratégie d’intervention recommandée est donc double :

  • En priorité, accompagner le rééquilibrage relationnel entre les interlocuteurs : faire remonter celui qui est en position basse, et faire descendre celui qui est en posture haute. Ce travail se fait en cabinet avec une analyse fine de la situation pour trouver avec le jeune là où ça coince et trouver une stratégie de réponse appropriée.
  • Faire dégonfler la pression exercée par le groupe et rendre à chacun la responsabilité de ses actes par une méthode non culpabilisante comme celle de la « préoccupation partagée »

Ce moyen d’intervention a pour vertu d’accompagner le système dans son ensemble et de rendre à chacun sa responsabilité et son intégrité.